Paroles et Ecrits d’Ananda Devi.

Alain Bauer

Je présente deux extraits de l’émission « La Grande Librairie » ( magnifiquement présentée par Augustin Trapenard) du mercredi 26 mars 2025 dans lesquels vous allez pouvoir écouter des paroles et des écrits, dont le contenu est très actuel, de l’écrivaine et poète Ananda Devi; je ne la connaissais pas et que l’ai donc découverte en regardant cette émission.

Voici donc un premier extrait dans lequel elle nous parle avec beaucoup de retenue de délicatesse et de pondération de la fragilité du langage et des mots que les discours actuels dénaturent, détournent, avilissent et transforment « en murs de mensonges ».



Le texte « les mots peuvent mourir de mort lente » est lu magnifiquement par Ariane Ascaride.


Dans le second extrait, Ananda Devi nous dit la nécessité, aussi indispensable et vitale que l’air et l’eau purs, des arts de la musique de la littérature et de la poésie pour résister aux tristement actuels discours vindicatifs et aux bras tendus stupides, emplis de haine débridée et effrayants.



« Ce chemin qui n’a pas de nom »

Ça pourrait être comme le titre d’un roman ou d’une chansonnette. Ça pourrait aussi un jeu de société bien connu pour soirées froides, avec ses dés, ses gares, sa case prison, ses cases « Chance » ou « vous reculez de trois cases » – avec l’avenue de la Paix ? ah non, pas l’avenue de la Paix – Ça pourrait être un game sur console avec son écran sa manette et sa bande son.

Mais non cette histoire n’est pas une fiction pour s’échapper d’un quotidien trop morne. C’est une histoire particulière vécue par une personne précise bien réelle dont le nom est Deedar, mais des milliers d’autres personnes partagent le même destin et vivent des histoires très similaires, bousculées par les violences et la barbarie sur des chemins interminables.

Deedar lorsque il est parti sur son chemin était un enfant de 15 ans et son chemin l’a amené à 17000 km de chez lui, au bout de 18 mois où trop nombreux sont les jours de souffrances extrêmes, les jours d’échecs et de désespoir, les jours à côtoyer la mort, cette mort qui a déjà emporté son frère ainé parti avant lui sur le même chemin.

Deedar est acharné, opiniâtre, résistant physiquement et moralement, intelligent et respectueux et a réussi à conserver sa vitalité son attachement au siens et sa sensibilité. Deedar a été soutenu le plus possible par les siens, par sa famille. Si Deedar est arrivé au bout du chemin, c’est parce qu’en plus Deedar a eu assez de chance, contrairement à beaucoup qui suivent le même chemin et qui au mieux finissent par renoncer.

Deedar est afghan. Avec sa famille, pourchassé par les talibans, il a du fuir l’Afghanistan et se réfugier dans un Pakistan hostile. Enfermé dans un camp de réfugiés Deedar n’en peut plus, et il dit à son cher père:

… on va tous mourir, un jour ou l’autre. Ca pourrait être ici. Ou là-bas. J’ai pensé que, pour moi, ça pourrait être plus tard encore, et ailleurs. Que je pourrais tenter ma chance pour une autre vie.

Deedar a raconté l’histoire de son chemin, son histoire. Claire Adhuy en a fait un livre magnifique, magnifiquement illustré par Maxime Garcia

Aujourd’hui Deedar vit en France où il a obtenu le statut de réfugié. Grace à ses qualités, il a rapidement obtenu un CDI comme cuisinier dans un restaurant et il rêve. Il rêve de devenir français ! et je lui souhaite que son rêve se réalise vite.

« La plus secrète mémoire des hommes »

La plus secrète mémoire des hommes

Je l’avais en mémoire quelque part; c’était le Goncourt de … je ne sais plus, enfin si maintenant puisque je l’ai sous les yeux, de 2021 donc. Dans ce que j’ai retenu le jury s’était auparavant vu critiqué quelque chose comme son ethnocentrisme en négligeant trop les œuvres pas assez hexagonales.

Mohamed Mbougar Sarr, l’auteur de ce roman, est originaire du Sénégal et a donc reçu le prix Goncourt en 2021, l’année de ces 31 ans. C’est un magnifique écrivain.

L'auteur sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, photographié à la RAW Material Company à Dakar lors des Ateliers de la Pensée 2019.

Mohamed

Mbougar

Sarr

Avec une langue et une écriture d’une grande finesse, subtile, riche, raffinée nous sommes transportés dans l’espace (l’Afrique et le Sénégal, Paris, Amsterdam, l’Amérique du Sud) et dans le temps à travers le 20ième siècle (la première guerre mondiale, la seconde, les années d’avant et d’après guerre et encore d’autres) dans les méandres d’une quête d’un écrivain imaginaire, Diégane Latyr Faye, sur les pas et la destinée d’un auteur tout aussi mythique T.C. Elimane, de son vrais nom Elimane Madag, que nous ne connaitrons pas, après avoir découvert son unique roman « Le labyrinthe de l’inhumain » que nous ne lirons jamais.

T.C. Elimane est le fils de Mossane devenue la folle sous le manguier du cimetière et de Assane Koumakh, parti au champs d’honneur quelque part dans les Ardennes ou en Artois et n’en est jamais revenu, ou peut-être bien de son frère cadet Ousseynou Koumakh qui lui est resté au pays, d’abord comme pécheur puis, devenu aveugle, comme guérisseur et voyant.

Ce livre nous parle d’une autre quête, celle mystérieuse et silencieuse d’un TC Elimane, distant et présent, prisonnier de drames juste esquissés, écrivain très tôt incompris. Nous le suivons et le découvrons à travers les témoignages des personnages qu’il a fréquentés au cours de ces années, comme ses éditeurs Thérèse Jacob et Charles Ellenstein ou des écrivains, africains comme lui, Musimbwa, Béatrice Nanga, et d’autres comme Sabato et Gombrowicz.

Cette quête l’occupera des décennies et l’amènera très loin de chez lui et assèchera ses talents d’écrivain puisqu’il ne réussira pas à écrire son deuxième livre, c’est le regret amer de sa vie. Elle le ramènera finalement en Afrique dans son village où, loin des livres, il exercera comme son « père » ses talents de guérisseurs et de voyant et trouvera ainsi une paix relative parmi les siens.

Nina Bouraoui – Grand Seigneur

« Mon père est entré en soins palliatifs à la maison médicale Jeanne-Garnier le 28 mai 2022 ».

Ainsi débute ce livre qui raconte comment son auteur a vécu intimement les dernières semaines puis les derniers jours de la maladie de son père jusqu’à son décès et comment elle « commence non à accepter, mais à m’imprégner de l’idée de sa disparition ».

Et l’auteur plonge dans ses souvenirs et nous raconte sa vie et celle de son père, ancien haut diplomate algérien entré en disgrâce parce que marié avec une française non musulmane. Elle nous raconte son père vu de ses yeux d’enfant là-bas dans son Algérie natale, puis plus tard après leur départ contraint, au début des années 80, vers la France vers Vannes, puis Rennes, puis Paris.

Dans les derniers jours, Nina Bouraoui se livre à son père et à nous, lecteurs, et nous offre ses confessions:

Et puis c’est la fin.

Que dire ? Ce livre est empreint de sincérité, de sensibilité, de pudeur, de vérité, de dignité. Il fait un bien fou à lire. Il fait un bien fou à nous démontrer combien notre pays, son histoire, sa culture, sa langue sont redevables et riches de toutes ses personnes venues d’ailleurs, trop souvent en fuite devant la tyrannie, la violence ou la faim et qui nous apportent toute leur intelligence et toute leur sensibilité.

« Ecoutez nos défaites » de Laurent Gaudé*

Toute victoire n’est qu’illusion ou aveuglement, seule la défaite est vrais parce qu’inéluctable.

Alors, écoutez nos défaites, écoutez les biens !

Et ainsi se termine ce roman:

…, écoutez nos défaites, nous n’étions que des hommes, il ne saurait y avoir de victoire, le désir, juste, jusqu’à l’engloutissement, le désir et la douceur du vent chaud sur la peau.

Et l’auteur emmène le lecteur en différents lieux et en différentes époques dans les pas de celles et ceux qui rejouent toujours la même illusoire et vaine course éperdue vers la victoire éclatante, définitive et totale, et finalement au bout du compte toujours le même constat de déception et de défaite, puisque au bout toujours il y aura la déchéance physique la mort. A moins que…

A moins que par leur renoncement ne s’ouvre leur cœur et leurs yeux, et alors l’accès à leur vérité propre, profonde et donc aussi immuable qu’humaine, et avec, à leur paix intérieure et à leur volonté finalement intacte.

Et nous voici au temps des guerres punique entre Carthagène et Rome avec Hannibal qui défie et fait trembler Rome par sa volonté et son génie, un temps seulement.

… Il repense à sa vie – long galop^guerrier sur une terre en feu -, il repense à la victoire qu’il emmène avec lui, malgré la mort, celle d’être devenu un nom, insaisissable à ses ennemis, « Hannibal », et il sourit.

Et l’auteur nous emmène aussi en Syrie dans les pas d’une archéologue qui lutte contre deux cancers même temps, dans son corps et dans ce pays au moment où Daech déferle et s’évertue à vouloir détruire toutes traces de civilisations et d’histoire pour sauver de néant ces traces du passé.

…, mais il n’y a pas de défaite possible. car cela voudrait dire accepter de n’être plus ce que nous sommes, cela voudrait dire désapprendre à vivre. … D’Alexandrie à Bagdad. De Tunis à Palmyre, elle va poursuivre jusqu’à l’épuisement mais qu’importe puisqu’il ne peut y avoir de défaite.

Il nous amène dans l’Éthiopie dans les années 30 où Mussolini écrase par la terreur tout un peuple, puis à Genève en 1936 où dans un sursaut d’orgueil le roi des rois dénonce les crimes commis par les fasciste italiens et la lâcheté de l’Europe et de la SDN, avant de revenir sans légitimité à la fin de la guerre dans les pas du colonisateur anglais pour sombrer

Il sent que dorénavant le pays le regarde avec haine, lui et ses vingt sept Rolls Royce, lui et sa cour d’hommes inutiles, lui et ses richesses dans un pays qui meurt la bouche ouverte.

Et c’est la même chose, il y a quelques années dans les arcanes des services secrets français ou américains, à Abbottabad au Pakistan, à Tripoli, à Beyrouth et Addis-Abeba ou pendant la guerre de sécession aux États-Unis.

Tout ce qui se dépose en nous, année après année, sans que l’on s’en aperçoive: des visages qu’on pensait oubliés, des sensations, des idées que l’on était sur d’avoir fixées durablement, puis qui disparaissent, reviennent, disparaissent à nouveau, signe qu’au-delà de la conscience quelque chose vit en nous qui nous échappe mais nous transforme, tout ce qui bouge là, avance obscurement, année après année, souterrainement, jusqu’à remonter un jour et nous saisir d’effroi presque, parce qu’il devient évident que le temps à passer

Danser avec les ombres de Laurent Gaudé

Ce livre est une ode à Haïti, à son peuple, à sa culture, à sa richesse, à ses croyances, à sa sagesse et à son opiniâtreté, à soif de liberté et de justice. Ce livre est aussi une réflexion sur la mort, sur le deuil, sur la mémoire.

Tout autour c’est Haïti, Port aux Prince, ses dictateurs, ses tontons macoutes, ses rares très rares riches, ses pauvres, sa jeunesse, ses écrivains, ses penseurs, ses antifascistes de toujours, la violence, la vengeance, la joie de vivre, l’amour, le plaisir, la luxure, l’ironie, le vaudou, Baron Samedi, Goudou Goudou et les autres.

Ensuite il y a Saul, Emeline, Justine, Lucine, Nine, Ti Sourire, Ti Poulette, Lagrace, toute la jeunesse d’Haïti qui a soif de vérité, de culture et d’indépendance et qui vibre et sait se révolter.

Il y a les Kénol, la veuve Viviane, riche, très riche, dominatrice, autoritaire et sèche, et sa fille Lily, gravement malade, incurable, condamnée, Lily qui n’en peut plus de son lit d’hôpital, de son isolement et qui a soif de son pays, d’Haïti, de la vie vrais, du peuple qui souffre et rit.

Il y a le Vieux Tess et tous les habitués de Fessou, Jasmin, Domitien Lagloire, Firmin, le facteur Sénèque et tous les autres, tous aimant jouir de la vie, la liberté, l’amour, le peuple, la démocratie, le partage.

Et puis il y a aussi le sinistre Firmin, dit Matrak, damné, vieux tortionnaire à la solde des Duvalier et Aristide.

Et puis survient la Catastrophe, le tremblement de terre. La ville est détruite et les morts sont partout. Et les vivants se recherchent éperdument. La terre se fissure la confusion est totale et atteint les âmes des vivants. Les vivants croient retrouver leurs chers disparus et les morts sont heureux de rejoindre les vivants.

Mais Dame Petite, elle si effacée et silencieuse, se lève et avec le Vieux Tess entame la danse des ombres pour que les vivants sèment les morts, pour que les morts retournent dans la terre qui en se refermant sur eux laissera les vivants poursuivre leur vie et vivre leur deuil.

Il y en 40 ans, Reiser …

C’était un 5 novembre et c’était en 1983, Jean-Marc Reiser s’en est allé faire un tour dans l’au delà avec un détour par le cimetière pour retrouver ses nombreuses copines et copains.

Reiser on l’aimait tellement, tellement il nous a fait rire et tellement il avait du génie. Il disait et dessinait merveilleusement l’absurdité de la société, nos insolences et nos désarrois, et notre jeunesse dont il avait l’art d’en exorciser les tabous et d’en arrêter la fuite pour quelques éclats de rire.

Jamais on en a loupé un numéro de toute la bande de Charlie, lui bien sûr mais aussi Cavanna, Cabu, Wolinski et bien d’autres !

Et voici quelques unes, toujours d’actualité semble-t-il !

Bon, là merci de faire un petit effort et de remplacer « coupe du monde » par « jeux olympiques ».

Tiens ! ça n’a pas changé !

Et puis Reiser, c’était aussi la fidélité à l’engagement.

Reiser, l’homme qui aimait follement les femmes !

et les bêtes aussi !

EUTOPIA, un roman de Camille Leboulanger

Imaginez ! Imaginez notre monde, notre humanité devenue au cours des siècles à venir différents.

Imaginez le et imaginez la, ayant su échapper à la vénalité, au lucre, à la rapacité, en résumé ayant réussi à s’abstraire de toute recherche d’appropriation et de propriété et ayant su avec modestie et retenue reprendre sa juste place au cœur du vivant.

Le pivot Historique, c’est la Déclaration d’Antonia élaborée à la fin de « l’ère de camps » pour mettre fin à cette sombre période où des hommes enferment d’autres hommes dans des camps pour les détruire ou au moins pour les empêcher d’aller où ils veulent, ailleurs sur la Terre.

Cette Déclaration vaut le détour et en voici le préambule qui la résume bien:

Le livre de Camille Boulanger se situe dans le monde d’après, bien après son avènement avec la Déclaration d’Antonia. Le fil du récit c’est Umo une personne d’alors que nous accompagnons tout au cours de sa vie, depuis son enfance à Pélagoya jusqu’à sa vieillesse à Opéra.

Nous le suivons dans ce monde où le propriété, la famille, le salariat sont abolis et dans ses rencontres, dans ses amitiés et dans ses amours, dans les métiers et les activités qu’il est amené à pratiquer et dans les lieux successifs où il habite.

Aster, Héléna , Merlin, Ulf, Livia, Budur, Gob bien sûr, Silje, Pontus, Ingrid et d’autres encore accompagnent Umo sa vie durant et lui accordent attention bienveillance et amour.

L’altruisme est devenu le maître mot de ce monde, le travail est vécu comme un amour, un partage avec les autres, jamais comme une nécessité, comme un moyen de s’enrichir ou comme une compétition.

Le vie d’alors est aussi faite de bons et de mauvais moments, de conflits et de crises, de bonheurs et de malheurs, d’efforts également et de réconforts toujours.

Camille LEBOULANGER est un jeune auteur qui apporte son imagination, son optimisme et sa confiance à un moment où notre monde en a plus que besoin.

Son roman EUTOPIA a été publié fin 2022.

N’hésitez pas à vous plonger dans ce roman fleuve, vous ne vous y ennuierez pas et vous regretterez toutes ces personnes qui vous y croiserez quand vous aurez fini de le lire. A mettre entre toutes les mains !

Frakas de Thomas Cantaloube

Vous vous situez dans les toutes premières années 60. C’est les début du Gaullisme triomphant, la fin de la décolonisation et le début de la « FranceAfrique ». Vous prenez l’assassinat, véridique, d’un opposant africain dirigeant de l’UPC (Union des Populations du Cameroun), Félix Mounier, assassinat grossièrement piloté par le SDCE.

Vous prenez un journaliste, Luc Blanchart, issu des milieux policiers et qui a donc des « relations », à qui son rédacteur en chef plein de pugnacité, René, demande de faire une enquête sur cet assassinat.

En parallèle vous ajoutez un corse exilé à Marseille plongé de façon un peu bancale dans le « milieu », pas trafiquant, plutôt passeur et intermédiaire entre les « familles », Antoine Lucchesi, avec un bon fond et des responsabilités respectables, aimant sa femme Maria qui tient un restaurant , et s’occupant des enfants même s’il n’était pas leur père.

Et puis les choses s’enclenchent, ou se gâtent comme on veut.

Pour Luc, le journaliste, c’est simple: il sème beaucoup trop le trouble dans la mare aux caïmans en posant beaucoup trop de questions trop vite, et il échappe de justesse à un passage à tabac. Par ses anciennes relations, il remonte jusqu’à un des deux agresseurs un certain Grenier, agent des « services », justement en partance pour le Cameroun et auquel il emboîte le pas, ou plutôt l’avion.

Pour Antoine, c’est vraiment la faute à pas de chance. Le cuisinier du restaurant, Alphonse, a du rentré au pays pour revoir un vieux parent très malade et il a emporté sans le savoir (il est dans la doublure d’une valise que Maria a prêtée au cuisinier) un livre de comptes avec tous les arrangements entres les « familles » qui sont tout de suite très, très énervées. Et il n’a pas le choix: soit il le ramène sous un mois soit toute sa fratrie est ziguouillée. Il s’envole aussi sec vers le Cameroun.

Et Luc et Antoine se retrouvent au même hôtel restaurant, « Au relais des Chasses » tenu par la jolie Lucille, haut lieu de Yaoundé réservé aux « blancs », dont les militaires français, toujours très présents. Et là surgit dans l’histoire un militaire, Sirius Wolkstrom, grande gueule, plutôt pas sensible quoique, très allumé, il s’occupe d’explosifs, et surtout électron libre, très libre.

Et puis l’histoire avance, Antoine part à la recherche du cuisinier Alphonse. Bon au passage il pique une jeep en abandonnant en rase campagne son propriétaire qui malheureusement y trépasse. Antoine réussit quand même à retrouver Alphonse et à récupère son livre de comptes, de justesse avant que les forces de sécurité embarquent Alphonse soupçonné à raison d’être un membre de l’UPC, en abattant au passage son vieux parent. Antoine est corse, il a le sens de l’honneur et se refuse à abandonner Alphonse. Mais il est grillé parce que dénoncé pour son larcin et surtout pour la mort du propriétaire de la jeep. Lucille croit sa version des évènements et lui fournit une « planque » en attendant qu’il puisse dégager du pays.

Pour le journaliste, Luc, son enquête a bien avancé mais les choses tournent aussi forcément mal. Il est reconnu par Grenier et « on » lui demande de déguerpir. Comme il se fait prier, qu’à cela ne tienne, il se fait tirer dessus. Il doit prendre la tangente fissa, non sans amener Lucille qui s’est faite déposséder du « Au relais des Chasses ».

Maintenant, c’est le grand jeu final et c’est Wolkstrom qui le mène. Il trouve où est détenu Alphonse, réussit à piquer à l’armée française un hélicoptère avec son pilote, et parvient au culot à libérer Alphonse. Et c’est la fuite vers le sud et vers le Gabon en hélicoptère qui tombe en panne sèche. Ils sont alors rattrapés par les nervis français méchamment agressifs. Mais Alphonse a pu prévenir ses potes de l’UPC qui ont des arguments pour les calmer et permettent aux fugitifs de passer la frontière.

Enfin voici l’épilogue, Antoine a pu revenir avec le livre de comptes et reprendre sa vie avec Maria et les enfants. Alphonse retrouve sa place au restaurant. Luc ramène pour rien un article explosif à son rédacteur en chef qui a perdu entre temps de sa superbe. Mais il est revenu avec Lucille qui apprécie vite la vie parisienne. Woklstrom, sans attache particulière en France, préfère finalement l’Afrique où il se sent encore le mieux.

C’est la fin aussi pour Célestin chauffeur de taxi camerounais avec son antique 2Cv, qui va accompagner Antoine pendant tout le roman et l’aider dans ses recherches. Célestin, c’est la finesse, la discrétion, la gentillesse, l’intelligence et le courage. Il est malheureusement tué par les nervis avant leur libération.

« Tropique de la Violence »

Dans son roman publié en 2016, Nathacha Appanah nous amène dans une ile de la France d’Outre Mer, l’île de Mayotte, île de l’archipel des Comores perdue dans l’Océan Indien au large de Madagascar, une petite île avec son bidonville géant qui draine la misère avec la violence et la corruption dans des kwassas-kwassas venus depuis les îles voisines de l’archipel devenues indépendantes et abandonnées et qui sont depuis devenues un des états les plus pauvres du monde.

Avec Nathacha Appanah, la misère et le violence ne sont ni anonymes ni désincarnées. Dans son roman, Moïse et Bruce nous envahissent, nous y immergent , deux êtres si semblables « la même taille, la même forme du crâne, les mêmes lèvres charnues », et aussi la même couleur, les mêmes origines et enfin le même destin, finalement.

Moïse est apporté par la mer à bord d’un kwassas-kwassas; il est abandonné par sa mère parce qu’il aurait le mauvais œil, puis il est volé à son destin de clandestin par une muzungu, une « étrangère », Marie qui l’adopte illégalement. Il perd Marie trop tôt décédée et devient Mo la Cicatrice, enfant des rues, et retombe malgré lui dans sa destinée sous l’emprise de Bruce qui le soumet et l’écrase mais qu’à son tour il va réussir à dominer physiquement et qu’il va tuer pour s’en délivrer et peut être aussi pour le délivrer. Mo la Cicatrice redevient alors Moïse pour quelques heures seulement. Mais pour conserver sa liberté reconquise, il se jettera dans la mer par où il est arrivé et où il disparaît à jamais.

Bruce, son vrais nom c’est Ismaël Saïd. Son père voulait pour Ismaël un bel avenir: « mon père prie pour que j’aille loin que je traverse les mers que je porte un costume une cravate et que je parle bien français…. ». Mais ce n’était pas le destin d’Ismaël. A peine adolescent, parce qu’il ne réussit pas à être ce que son père voulait qu’il soit, il entre en conflit avec son père puis avec toute sa famille. Il devient rapidement Bruce, ado des rues, qui vit de rapines et de trafics. Dans cette jungle des rues, Bruce s’impose peu à peu, Bruce devient le « chef » de Gaza, quartier « défavorisé » de Kawesi. Enfermé dans son conflit avec son père, à la fois complice et piégé dans son rôle de chef de Gaza, Bruce est assoiffé de domination, il est violent,violeur, brutal et sadique.

« Gaza c’est un bidonville, c’est un ghetto, un dépotoir,un gouffre, une favela, c’est un immense camp de clandestins à ciel ouvert,… ». Gaza, c’est la putréfaction avancée de l’esclavage, puis du colonialisme, puis du néocolonialisme, en Afrique comme ailleurs. Gaza fabrique les Bruce.

Nathacha Appanah invite le lecteur à habiter ces personnages, à vivre tous les instants de leur vie, de leurs fuites, de leurs luttes, à penser comme eux, à ressentir leurs plaisirs et leurs souffrances.

Ce livre est donc paru en 2016. Aujourd’hui lorsque l’on consulte les actualités de l’île de Mayotte, on constate qu’il ne se passe pas de semaines sans agressions souvent mortelles. Les bidonvilles détruits ici réapparaissent là. Les kwassas-kwassas partent toujours des Comores voisines et s’ils ne disparaissent en mer apportent inlassablement de nouveaux migrants qui n’en finissent pas de tenter de fuir le dénuement et la misère.